Les papes
en films

Représentant de Dieu sur Terre, chef spirituel de plus d’un milliard quatre cent mille catholiques répartis à travers le monde et dirigeant politique et diplomatique d’un état aussi petit qu’influent, le pape est une figure qui, immanquablement, avait tout pour fasciner le 7ème Art. Au gré des époques et des dévotions, fluctuant selon le regard de réalisateurs bienveillants ou, au contraire, portés sur une critique acerbe (confrontation marxiste, évocation de l’opacité administrative, dissimulation des crimes sexuels, mystères des archives vaticanes…), le Saint-Père, devenu un véritable personnage de Cinéma, a fait l’objet de nombreux films et de séries télévisées. Si ses représentations sont souvent très schématiques et relèvent parfois de stéréotypes versant dans une forme d’exagération, c’est surtout la figure politique et diplomatique qui semble avoir retenu l’attention des cinéastes. Si l’on prend les productions les plus récentes – tous types de médias confondus – du Habemus Papam de Nanni Moretti (2011) à Conclave d’Edward Berger (2024) en passant par la série The Young Pope et sa suite The new Pope de Paolo Sorrentino, on constate que les papes ainsi mis en scène sont souvent des créations fictives issues de l’imagination des scénaristes et des réalisateurs.
Cependant, en dehors de ces approches plus politisées, nombreuses sont les vies de papes « historiques » à avoir fait l’objet d’adaptations sur grand écran, depuis les grands pionniers de la Foi jusqu’aux personnalités les plus sulfureuses, dans des œuvres fluctuant de l’hagiographie la plus spirituelle au réalisme le plus trivial. Sur les 267 évêques de Rome ayant présidé à la destinée du Saint Siège, seule une poignée d’élus ont ainsi eu l’honneur de bénéficier d’un biopic ou, plus généralement, d’apparaître comme de prestigieux et emblématiques seconds rôles. Cet intérêt cinématographique est d’ailleurs généralement proportionnel au degré d’importance de leur pontificat dans l’Histoire des peuples et des âmes.
Comment commencer la litanie des papes cinématographiques sans évoquer celui dont la tombe est à l’origine même de la basilique qui porte son nom ? Apôtre du Christ et considéré comme l’un des plus éminents fondateurs de l’Eglise, Saint Pierre ouvre le chapitre consacré au Christianisme primitif sous le signe du Film à l’Antique. On le croise ainsi au détour de grands péplums martyrologiques comme Simon le Pêcheur de Frank Borzage en 1959 ou les différentes adaptations du Quo Vadis ? de Henryk Sienkiewicz (dont la plus célèbre est celle de Mervyn Leroy en 1951 dans laquelle le personnage est interprété par Sir Finley Currie). Il est également l’un des protagonistes principaux du diptyque cinémascopique de la 20th Century Fox sur la Tunique du Christ : La Tunique de Henry Koster (1954) et sa suite Les gladiateurs de Delmer Daves (1955) avec Michael Rennie dans le rôle du célèbre disciple. A la Télévision, on le retrouve dans de nombreuses mini-séries bibliques comme Les Actes des apôtres de Roberto Rossellini en 1969, Saint Pierre de Giulio Base en 2005 (avec Omar Sharif dans le rôle titre) et, plus récemment, The Chosen, la saga culte sur les disciples de Jésus. .

Rencontre d'Attila et de Léon 1er le Grand dans "LE SIGNE DU PAIEN" de Douglas Sirk (1954)
Célèbre pour avoir convaincu Attila de renoncer à la mise à sac de Rome quatre siècles plus tard, c’est Léon 1er (dit « le Grand »), pape jusqu’en 461 et Père de l’Eglise, qui fait son apparition dans deux versions de la vie du roi des Huns sorties toutes les deux en 1954 : l’italien Attila, fléau de Dieu de Piero Francisci (avec Antony Quinn dans le rôle du souverain barbare) et l’américain Le signe du Païen de Douglas Sirk (avec Jack Palance dans le rôle du Hun et Moroni Olsen dans celui de Léon). .
Personnages de second plan, les autres papes du Moyen-Age ne semblent pas avoir suscité l’intérêt des cinéastes à l’exception de la mythique Papesse Jeanne. Personnage légendaire, Jeanne aurait accédé à la papauté en se faisant passer pour un homme sous le nom de Jean VIII entre 855 et 858. Les films retraçant cette étonnante histoire permettent surtout de confronter le masculinisme caractéristique des milieux religieux et de la papauté médiévale avec les aspirations émancipatrices des femmes de l’époque. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que le premier film qui lui ait été consacré date de 1972 soit 3 ans après la révolution politique et sexuelle de Mai 68. Jeanne, papesse du diable de Michael Anderson met en scène Liv Ullmann, empreinte de solennité et de mysticisme, dans l’un de ses plus beaux rôles. Suivront ensuite La Papesse Jeanne de Sönke Wortmann en 2009 (avec Johanna Wokalek) puis La Papesse Jeanne de Jean Breschand (avec Agathe Bonitzer) en 2016.

Lluis Homar en Alexandre VI dans "LES BORGIA" d'Antonio Henrandez et Luciano Capozzi (2010)
A la suite des grands écrivains, les réalisateurs se penchèrent ensuite sur les Borgia, dynastie espagnole qui fit main basse sur le trône de Saint-Pierre et demeura célèbre pour ses moeurs dissolues et ses pratiques « mafieuses » autour de la figure patriarcale d’Alexandre VI, pape de 1492 à 1503 qui incarna les déviances concupiscentes de la papauté et les pires collusions entre pouvoir politique, pouvoir spirituel et affairisme. Réalisé par Walerian Borowczyk et sorti en 1974, le sulfureux Contes immoraux insiste de manière assez racoleuse sur les relations incestueuses entre le Saint Père et sa légendaire fille Lucrèce. On peut également citer Lluis Homar dans Les Borgia d’Antonio Hernandez et Luciano Capozzi en 2010 ou encore la convaincante prestation de Jeremy Irons dans la série télévisée du même nom initiée par Neil Jordan en 2011.

Rex Harrison en Jules II fait face à Charlton Heston en Michel-Ange dans "L'EXTASE ET L'AGONIE" de Carol Reed (1965)
Avec la Renaissance et la Contre-Réforme, s’ouvre une période plus propice à des souverains pontifes plus posés, plus hiératiques. Et pourtant, les papes de l’Ancien Régime se font globalement assez discrets au Cinéma à l’exception du célèbre Jules II, pape de 1503 à 1513 et surtout connu pour avoir été le mécène de Michel-Ange à l’occasion de la réhabilitation de la Chapelle Sixtine. Bénéficiant de la renommée mondiale de cet artiste hors du commun, cet ambitieux pontife qui fut aussi un fin diplomate et un redoutable chef de guerre fit l’objet de plusieurs évocations plutôt réussies dans les biopics consacrés au génie des fresques. On pense à Rex Harrison dans L’extase et l’agonie de Carol Reed en 1965 ou Massimo De Francovich dans le Michel-Ange d’Andreï Kontchalovski en 2019.
Après le temps des rois et des monarchies absolues, le XIXeme siècle, avec ses bouleversements géopolitiques et sociaux, remet le Saint Siège au cœur des préoccupations de plusieurs films. Acteur ambivalent du sacre de Napoléon qu’il considérait tout de même comme le restaurateur des États pontificaux et de la religion catholique en France avec la signature du Concordat en 1801, Pie VII occupe une place de choix dans les fresques consacrées à l’Empereur des Français. Il apparaît dès 1897 dans Entrevue de Napoléon et du pape, une « vue historique » commandée par les Frères Lumière à Georges Hatot et Vittorio De Sica l’immortalise dans Austerlitz d’Abel Gance en 1960.
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Paolo Pierobon en Pie IX dans "L'ENLEVEMENT" de Marco Bellocchio (1923)
D’un Pie à l’autre, il n’y a qu’un pas… Dans Litzomania (1975), évocation rock et baroque de la vie du compositeur Frantz Litz, Ken Russell met en scène un Pie IX incarné par… Ringo Starr, barbu et tiaré à souhait, qui refuse d’accéder à la demande de remariage de Franz avec Carolyne de Sayn-Wittgenstein en 1860. De Pie IX, personnage décidément peu sympathique cinématographiquement, il est en également question dans L’enlèvement de Marco Bellocchio (2023) dans lequel le cinéaste italien évoque la dramatique histoire d’un jeune garçon juif de Bologne enlevé de force à sa famille en 1858 et amené au Vatican y pour être élevé comme chrétien auprès du pape. Quant au film consacré à Don Bosco par Leandro Castellani en 1988 avec Ben Gazarra dans le rôle titre, on assiste à la passation de pouvoir entre un Pie IX joué par Raymond Pellegrin et un Léon XIII incarné par Phillipe Leroy.
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Le regard des cinéastes sur les souverains pontifs plus contemporains est plus contrasté et dépend autant de l’héritage diplomatique et spirituel laissé par chacun d’eux que du climat politico-artistique de production des films. Le pontificat controversé de Pie XII, à la tête du Vatican de 1939 à 1958, fait entrer la papauté dans le récit filmique de la Seconde guerre mondiale à travers une série de films souvent à charge sur l’évêque de Rome accusé de couvrir, voire d’apporter sa bénédiction, aux crimes nazis. On pense bien sûr au Amen de Costa-Gavras (2002) dans lequel Marcel Iures campe un pape refusant de condamner le gazage des personnes handicapées par le IIIème Reich malgré les alertes du prêtre joué par Mathieu Kassovitz ou à la mini-série américaine La pourpre et le noir de Jerry London, diffusée en 1985 et dans lequel il apparaît sous les traits de John Gieguld.
A partir du Concile de Vatican II et à mesure que la figure papale se popularise dans les médias grâce à des apparitions plus fréquentes et aux déplacements internationaux qui se généralisent, les souverains pontifs des Trente glorieuses et leurs successeurs bénéficient d’un traitement plus apaisé de leur image. En 1965, soit deux ans après la mort du pape, Ermanno Olmi signe E venne un uomo…, un docu-fiction sur Jean XIII présenté et commenté par Rod Steiger, mêlant citations du pontife récitées par l’acteur, prises de vues réelles et images d’archives. Ce sont ensuite les mini-séries italiennes qui prennent le relais du grand récit de l’Histoire des papes contemporains et qui, de Paul VI à Jean-Paul II, accordent à chacun le droit à une célébration télévisuelle souvent bien documentée et toujours hagiographique.
Anthony Hopkins en Benoît XVI échange avec le pape François incarné par Jonathan Pryce dans "LES DEUX PAPES" de Fernando Meirelles (2019)
Signe des temps et de leaders spirituels à l’écoute des évolutions techniques de leur temps, les derniers papes ont su habilement utiliser le Cinéma et ses multiples déclinaisons pour valoriser leur travail d’évangélisation du monde. Le pape François est ainsi le protagoniste principal de nombreux films et documentaires. Dans Les deux papes réalisé en 2019 par Fernando Meirelles, Jonathan Price, très ressemblant en François, échange avec Anthony Hopkins, devenu pour l’occasion Benoît XVI, dans un face à face de haute volée entre le pape allemand démissionnaire et son successeur argentin récemment élu. Des origines argentines de François, il en est également question dans Le pape François de Beda Do Campo Fejoo, sorti en 2015 et qui revient sur la jeunesse sud-américaine de Jorge Mario Bergoglio (interprété par Dario Grandinetti) et son ascension au sein de l’Eglise catholique à travers son action envers les pauvres. Enfin, avec Le pape François : un homme de parole, sorti dans les salles en 2018, c’est Wim Wenders qui consacre un documentaire intimiste ponctué d’entretiens au cours desquels le Saint-Père se livre sans état d’âme ni langue de bois sur les sujets importants et parfois clivant de son pontificat.
Et lorsque l’on sait l’intérêt pour la Communication et les médias du nouveau pape Léon XIV, on ne peut que se réjouir d’imaginer de futurs nouveaux films sur les grandes pages historiques de la papauté.