Le Débarquement
en films
4266 navires de transport, 722 navires de guerre, 11 600 avions et 50 000 hommes… La gigantesque armada maritime et aérienne qui s’approche des côtes normandes en ce matin gris du 6 juin 1944 marque le début de l’invasion de l’Europe nazie par les Alliés, tournant majeur dans l’Histoire de la Seconde Guerre mondiale. Après le choc de l’assaut sur des plages dont les noms sont devenus mythiques (Utah, Omaha, Gold, Juno et Sword…), commencent ensuite les 100 jours héroïques de la Bataille de Normandie. Comme ce fut le cas pour les grandes heures de la guerre du Pacifique contre les Japonais, le Cinéma s’est vite emparé du “Jour J” pour l’intégrer dans sa grande fresque de l’Histoire du monde. Vétérans du conflit ou simples passionnés, les cinéastes se firent ainsi les reconstituteurs et les commentateurs de cette épopée militaire des temps modernes..
Il faut dire que l’événement bénéficia dès l’origine d’une large couverture médiatique. Alors que le photographe Robert Capa immortalise les GI’s débarquant dans l’enfer d’Omaha, le réalisateur George Stevens et ses équipes fixent sur pellicule l’effort de guerre et l’avancée des troupes sur le littoral et vers le bocage normand. Ces images, parfois tournées en couleurs, constitueront d’ailleurs une importante source d’inspiration, voire même de film-footage, pour les productions cinématographiques se référant à cet épisode incontournable de l’année 1944.
Un an après la cessation des combats, c’est le cinéaste français Jean Grémillon qui pose le premier sa caméra documentaire sur la Normandie martyre dans Le 6 juin à l’aube (1946). Alternant archives militaires alliées et reportage tourné sur place, le réalisateur tente une synthèse chronologique des évènements et fixe pour la postérité les traumatismes subis par les Normands pendant l’offensive, constituant ainsi un témoignage unique et incontournable pour la postérité.
Affiche du film "AU 6ème JOUR" de Henry Koster (1956)
Hollywood ne devait pas tarder à prendre le relais du Cinéma hexagonal pour proposer sa vision héroïque et révérencielle du sujet. En 1956, Henry Koster signe Au sixième jour, un mélodrame dans lequel une jeune anglaise tombe simultanément amoureuse d’un officier britannique et d’un officier américain joué par Dana Andrews qui finissent tous deux par s’embarquer pour la Normandie et partir à l’assaut de la Pointe du Hoc. Au-delà du romantisme de la cornélienne histoire d’amour, le film met parfaitement en scène la vie quotidienne des londoniens à l’heure du Blitz ainsi que les préparatifs du débarquement et l’angoissante attente précédente le départ des troupes.
Mais si le Débarquement en Normandie n’est qu’une toile de fond dans Le sixième jour, le récit détaillé et panoptique des combats est au cœur de ce monument éternel du Film de guerre qu’est Le jour le plus long réalisé en 1962 par Ken Annakin, Bernhard Wicki, Andrew Marton, Darryl F. Zanuck et Gerd Oswald. Daryl Zanuck, patron de la 20th Century Fox, décide d’adapter le roman-témoignage de Cornélius Ryan relatant la journée du 6 juin de sa préparation à la reddition des derniers défenseurs du Mur de l’Atlantique. Avec un budget de 10 millions de dollars et un casting international prestigieux (John Wayne, Richard Burton, Henry Fonda, Curd Jurgens, Bourvil et bien d’autres), le souffle épique des grandes superproductions plane sur cette fresque qui a tout de même tendance à privilégier les hauts faits d’armes et le sacrifice des forces américaines. Tourné en Normandie sur les lieux mêmes des combats (à l’exception d’Omaha la sanglante reconstituée sur une plage corse !), le film reprend dans un sublime noir et blanc (afin de pouvoir y intégrer des images d’époque) les grands épisodes mythiques entrés dans la légende du D-Day. La cornemuse des Écossais de Lord Lovat, le parachutiste John Steed resté accroché au clocher de Sainte-Mère-Église, l’escalade des falaises du Hoc par les Rangers ou encore la prise du casino de Ouistreham par le commando Kieffer, tout y est. L’histoire se mêle au mythe. Le souvenir se mêle à la légende. Le succès international du film en fera d’ailleurs un modèle du genre, une référence pour les grands films de guerre à venir.
John Wayne dans "LE JOUR LE PLUS LONG" de Ken Annakin, Bernhard Wicki, Andrew Marton, Darryl F. Zanuck et Gerd Oswald (1962)
En pleine Guerre froide et au moment où la crise des missiles de Cuba atteind son paroxysme, il est évident que cette démonstration de force cinématographique prenait tout son sens dans le cadre de la réaffirmation de l’hégémonie américaine et de la place occupée par la États-Unis dans la Victoire sur les totalitarismes.
"LE JOUR D'APRES" de Robert Parrish (1966)
Imaginé comme une suite au Jour le plus long, Le jour d’après de Robert Parrish , sorti sur les écrans en 1966, se penche sur les heures qui suivirent l’affrontement sur les plages et la gestion des prisonniers de guerre allemands. Moins spectaculaire mais bénéficiant de scènes coupées inédites du Jour le plus long, ce récit du lendemain avec Cliff Robertson est l’un des rares à évoquer la gestion des conséquences militaires immédiates de la Bataille par l’armée américaine.
Avec la crise mémorielle et contestataire des années 70, le recul du patriotisme cinematographique relègue au second plan l’aventure du 6 juin 44 à l’exception de quelques séries B italiennes. Il faut attendre 1982 pour qu’un grand cinéaste reprenne le flambeau et en propose une nouvelle mise en images. Dans Au-delà de la gloire, Samuel Fuller plonge dans ses souvenirs de vétéran pour reconstituer son expérience de la tragédie d’Omaha en ouverture de son évocation de la Big Red One, l’unité d’infanterie dans laquelle il fut incorporé durant la guerre. Malgré une étonnante atmosphère ensoleillée dûe à un tournage sur la côte israélienne, le film tente pour la première fois d’aborder frontalement la violence physique et psychologique de la guerre.
"IL FAUT SAUVER LE SOLDAT RYAN" de Steven Spielberg (1998)
Si Le jour le plus long a marqué son époque et correspond à un certain idéalisme cinématographique, Il faut sauver le soldat Ryan, réalisé en 1998 par Steven Spielberg marque l’irruption de la problématique mémorielle et de l’impératif de respect historique dans le Film de guerre en général et l’iconographie du D-Day en particulier. En abordant cette grande offensive militaire par le cas particulier d’un jeune soldat, unique survivant de sa fraterie, à ramener d’urgence à la maison, Steven Spielberg prend à rebours la mécanique spectaculaire mise en place par Ken Annakin dans Le jour le plus long. A une vision générale et chorale des différents des grandes opérations, il préfère se concentrer sur l’expérience, le vécu, narratif mais surtout sensoriel et traumatique des membres du commando. La puissance du film reside dans la tentative totalement réussie de restituer au spectateur les sensations d’un combattant pris sous le feu de l’ennemi grâce à un dispositif immersif à la fois visuel et sonore. La caméra sur l’épaule tremble et plonge dans l’eau, les balles en son surround sifflent tout autour de la salle et le martyr des corps explosés ou fauchés par la mitraille et les bombes est volontairement et crûment décrit. Jalon essentiel dans l’Histoire du Cinéma, Il faut sauver le soldat Ryan a bouleversé la façon de mettre en scène la guerre dans la fiction historique.
Et pourtant, l’une des plus intéressantes et originales mises en perspective du Débarquement nous vient de… Corée ! Dans Far away : Les soldats de l’espoir, Kang Je-gyu met en scène le destin aussi incroyable que vrai de deux amis vivant en Corée occupée par les Japonais et qui sont fait prisonniers par les soviétiques avant de s’échapper du goulag et de tomber dans les griffes de la Wehrmacht qui les incorpore de force pour les envoyer sur le Mur de l’Atlantique. Inspiré d’une célèbre photographie prise par l’armée américaine montrant des soldats coréens portant l’uniforme allemand en Normandie, le film illustre parfaitement le caractère mondial de ce conflit et souligne l’effet papillon existant entre les différents fronts et les différents belligérants.
"UN SINGE EN HIVER" de Henri Verneuil (1962)
Au-dela de la question de la représentation à l’écran de cette extraordinaire épopée militaire, le Débarquement en Normandie a maintes fois servi de toile de fond à des films abordant certaines thématiques liées à la mémoire de la Seconde Guerre mondiale, en particulier, dans le Cinéma français. C’est pendant les parachutages alliés que Philippe Noiret et Catherine Deneuve s’engagent malgré eux dans la Résistance dans La vie de château de Jean-Paul Rappeneau (1966). C’est sous les bombardements des défenses côtières que les Jean Gabin et Jean-Paul Belmondo se rencontrent autour d’un verre dans Un singe en hiver de Henri Verneuil (1962). Encore aujourd’hui, il constitue un inépuisable réservoir d’images et de situations pour les cinéastes présents et à venir.