La rafle du Vel d’Hiv’
en films
Symbole de la collaboration pleine et entière de la France de Vichy avec l’Allemagne nazie, la rafle de 13 000 Juifs étrangers résidents en France dont 4 100 enfants les 16 et 17 juillet 1942, dite également “Rafle du Vel d’Hiv”, a rarement été représentée au Cinéma. Le peu d’occurrences narratives de cet événement sur les écrans hexagonaux est révélatrice d’un rapport complexe du 7ème Art avec la question de la Shoah et, plus généralement, de celle des Français aux faces sombres de leur Histoire. A cela vient s’ajouter une quasi-absence de documents photographiques ou filmiques sur l’arrestation et des témoignages qui mirent du temps à se faire entendre (le premier ouvrage significatif étant La grande rafle du Vel d’Hiv : le 16 juillet 1942 de Claude Levy en 1967)…
Haut lieu du Sport dans la capitale, le Vélodrome d’hiver a connu les victoires des plus grands noms du cyclisme. La plupart des courts et moyen-métrages qui lui sont consacrés avant ou dans l’immédiate après-guerre n’évoquent la plupart du temps que son passé sportif. Principal documentaire consacré au Vélodrome, Vel d’Hiv’ de Guy Blanc et Frédéric Rossif (1959) n’évoque même pas les tragiques heures de la déportation. Outre quelques allusions au système concentrationnaire nazi et le documentaire choc d’Alain Resnais Nuit et brouillard (1956), il faut dire que la sort des Juifs en France n’a pas trouvé beaucoup d’écho chez les cinéastes qui lui ont préféré la légende dorée de la Résistance.
A partir de 1968 et des travaux d’historiens français (Henri Amouroux) ou américains (Robert Paxton), le Cinéma semble enfin s’emparer du sujet de la Collaboration et contribue à dynamiter le mythe gaulliste d’une France résistante et héroïque dont L’armée des ombres de Jean-Pierre Melville est l’une des dernières manifestations. Des films comme Le chagrin et la pitié de Marcel Ophüls (1969), Lacombe Lucien de Louis Malle (1974) ou Section spéciale de Costa- Gavras (1975) ouvrent la voie à une relecture cinématographique de la Seconde guerre mondiale en France. C’est dans ce contexte que Les guichets du Louvre de Michel Mitrani sort sur les écrans en 1974 et confronte les spectateurs à l’horrible réalité de la rafle, depuis la visite préalable des gendarmes jusqu’à la traque des récalcitrants en passant par l’entassement des familles dans les tristement célèbres bus verts parisiens. Inspiré du roman homonyme de Roger Boussinot, le film aborde l’événement de front et suit la tentative d’un étudiant amoureux d’une jeune fille juive pour la faire échapper à la déportation en l’emmenant jusqu’aux fameux guichets du Louvre qui marquaient la limite de la zone concernée par la rafle. Outre l’intelligence du scénario consistant à saisir la complexité et l’ambivalence de la réaction de la communauté juive face à ce traumatisme, le film pose pour la première fois la question de la responsabilité et de l’implication directe des Français dans l’exécution de la Solution finale.
"Les guichets du Louvre" de Michel Mistrani (1974)
"MONSIEUR KLEIN" de Joseph LOSEY (1976)
Deux ans après la sortie des Guichets du Louvre, un autre film emblématique évoque la rafle : Monsieur Klein de Joseph Losey. Victime d’une erreur d’identité, un marchand d’Art alsacien interprété par Alain Delon se retrouve pris dans l’engrenage de la déportation et est arrêté à l’occasion de la rafle. Évitant tout sensationnalisme, le réalisateur britannique se concentre sur la solitude de son personnage et filme la marche inéluctable de ces arrestations de masse. On y retrouve bien sûr les thématiques chères à Losey, en particulier, celle de l’individu confronté puis broyé par un système social ou politique inhumain.
"LA RAFLE" de Roselyne Bosch (2010)
Il faut attendre 2010 pour qu’un film traite directement du drame du Vel d’Hiv : La rafle de Roselyne Bosch. Empreint d’une mission de devoir de mémoire, le film de Roselyne Bosch joue la carte de la pédagogie avec un récit panoptique des événements dans la tradition des grands films de guerre comme Le jour le plus long de Ken Annakin (1962) ou Paris brûle-t-il ? de René Clément (1964). De la planification de l’opération par les fonctionnaires de police jusqu’à l’arrivée des déportés dans les camps de concentration français du Loiret, c’est tout le processus, la rigueur opérationnelle, la préméditation, que la réalisatrice entend rappeler et souligner. Malgré une mise en scène plombée par un académisme didactique, l’originalité du film réside dans la reconstitution (appuyée par un efficace recours aux effets numériques) de l’intérieur du vélodrome aujourd’hui disparu. Gradins surpeuplés, excréments débordant des toilettes, détresse des mères confrontées à la souffrance de leurs enfants, le dispositif immersif permet de se rendre compte du drame humain qui se déroule au cœur d’un Paris indifférent.
"LA RAFLE" de Roselyne Bosch (2010)
Depuis les années 2010 et la reconnaissance par Jacques Chirac, alors Président de la République, de la responsabilité de l’état français dans la déportation des Juifs de France, la référence à la rafle du Vel d’Hiv’ semble ainsi planer sur de nombreux films français comme une présence fantomatique dans des films comme Elle s’appelait Sarah de Gilles Paquet-Brenner (2010) ou, plus récemment, dans le premier film réalisé par Sandrine Kiberlain : Un jeune fille qui va bien (2021). L’approche conscientisée mais sereine de la réalisatrice montre bien l’apaisement et la maturité avec laquelle les cinéastes contemporains s’emparent dorénavant de ce paroxysme de la répression antisémite de Vichy. Débarrassé de son enjeu polémique, la rafle peut désormais s’intégrer de manière plus apaisée au récit filmique national.